mercredi 19 mai 2010

Valse avec Bachir : Souvenir, souvenir.


Comment peut on oublier un massacre ? C'est la question que se pose Ari Folman lorsqu'on lui demande ce dont il se souvient de la fin de la guerre du Liban, et plus précisément de l'épisode sanglant qui a eut lieu dans les camps de Sabra et Chatila en 1982. Au fil des rencontres et des interviews, il parviendra à retracer son parcours qu'il met en scène dans ce "documentaire d'animation".

Rares sont les longs métrages d'animation traitant d'un sujet un tant soit peu "sérieux", les plus emblématiques étant peut être Le Tombeau des lucioles, chef d'oeuvre d'Isao Takahata sorti en 1982, et, plus récemment, le très beau Persepolis de Marjanne Satrapi et Vincent Paronnaud (2006). Il est donc étonnant de voir un sujet aussi sombre et complexe que la Guerre du Liban être traitée par animation. En effet, le film de Folman tire tellement sur le documentaire (présentation des intervenants, témoignages sur fond neutre, travail d'enquête et de documentation) qu'il est naturel de se demander pourquoi ne pas en avoir jouer la carte "à fond". Au delà de l'évidence du choix pratique comme la mise en scène (les passages présent/passé, les passages imaginaires, la lourdeur d'une équipe technique) ou l'esthétique (le floutage - cf "l'interdiction" de photo d'un des protagonistes - aurait fait mauvais genre), les intentions du réalisateur semblent se pencher sur un choix éthique.

En effet, l'éthique (de la guerre ou du témoignage, c'est à dire son objectivité) semble traverser l'oeuvre. Comment sur un sujet qui, près de trente ans après, est toujours plus ou moins sensible pouvons nous, spectateurs et surtout occidentaux coupés du véritable conflit, croire un ancien soldat converti au 7eme art ? C'est là qu'est le génie de Folman. Il nous demande jamais de croire, il expose. Il expose les faits comme il les a lui vécu, comme l'ont vécu ses frères d'arme, comme l'a vécu un présentateur TV ou un soldat qui lui est parfaitement inconnu. Des témoignages donc et non la vérité, seulement les faits derrière le voile de la subjectivité.
Le choix de l'animation et le recul que l'on prend par rapport aux images (le choix d'une animation bien que très belle mais aussi très spéciale et un peu hermétique n'y est pas pour rien) dans ce cas précis sont à mettre en corrélation avec de nombreuses récurrences sur la mémoire et sa falsification. L'ami psychiatre ne prend il pas le temps d'expliquer l'expérience de la photo faussée ? Le narrateur, loin d'être omniscient, n'invente-il pas lui même un fait, cette sortie de la mer "now apocalyptique" ? Même d'infimes détails sur la perception sont mises à l'oeuvre pour nous pousser vers cette voie : la vision altérée à travers le judas, les doubles tremblant des chiens dans les flaques, l'apparition d'une fête foraine d'on ne sait où derrière Folman pendant l'anecdote psychanalytique...

Reste un film de guerre remarquable où les scènes de complète introspection et celle d'action pure s'entrechoquent au rythme d'une B.O. mêlant rock 80s, reprise à la sauce No Future, et de musique plus classique. Ce témoignage, certes à prendre avec des pincettes, offre à travers la petite histoire un brossage efficace de la grande, de la peur des uns et de la souffrance des autres, de la compassion de plusieurs et de la barbarie de beaucoup d'autres.

En résumé : Ari Folman signe avec Valse avec Bachir une oeuvre profonde sur un épisode tragique de la guerre du Liban tout en mettant en garde sur la subjectivité d'un tel témoignage, à l'aide d'une animation soignée.
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"As-tu des flashbacks du Liban ?"
*S.M.*

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