mercredi 30 juin 2010

Six Feet Under : La vie est belle.


Quand Nathanael Fisher Senior, gérant d'une modeste entreprise de pompes funèbres, décède brutalement dans un accident de voiture, sa femme et ses trois enfants doivent tous faire face à la réalité de la mort et reprendre l'affaire familiale.

Chacun d'entre nous a des problèmes plus ou moins importants avec sa famille. Chaque famille a son canard boiteux (celui-dont-on-ne-prononce-pas-le-nom) ou ses engueulades de noël. Il n'y a qu'à voir le nombre de familly drama qui sortent régulièrement pour s'en rendre compte (The Sopranos à la télévision, Crazy et Le Dernier jour du reste de ta vie au cinéma) et même les Ingalls avaient leurs conflits. Alors à quoi bon regarder une famille se lamenter sur elle même pendant près de 58 heures ? D'autant plus que cette histoire de croque mort n'est pas des plus réjouissantes et des motivantes pour la suite...

Or Six Feet Under (SFU) est loin d'être une morbide et banale chronique familiale, elle est bien plus que cela car lorsqu'Alan Ball (le scénariste oscarisé d'American Beauty) imagine la famille Fisher, c'est pour mieux parler librement (on est sur HBO, la chaine qui a diffusé The Sopranos) de la société américaine.
Les personnages en sont ainsi les archétypes : Ruth est une mère coincée, qui vit pour et par sa famille mais désire rester femme ; Nate, l'ainé des enfants, est un grand adolescent, n'hésitant pas à faire l'amour à la première venue sans se préoccuper des conséquences ; David est homosexuel, le cachant à ses proches (à l'instar de Ball qui a fait son coming out à 30 ans) et Claire, une gamine cynique attirée par les bad boys. Là où n'importe quelle série aurait pu se contenter de rester enfermée dans ses stéréotypes, Ball et son équipe ne cessent de les faire évoluer, les confrontant à leurs démons (solitude, paternité, homophobie, doutes), à des événements et des rencontres les aidant peu à peu à grandir et à murir, à nous faire murir.


Car là est l'intérêt de SFU : par cette manière de montrer tout en ne jugeant jamais mais simplement en nous expliquant la pluralité de points de vue et la complexité de l'être, Ball cherche à nous faire réagir, à nous faire prendre conscience que l'autre n'est pas mieux que nous même mais en aucun cas pire. Une méthode proche de l'objectivité qui se ressent aussi lors des morts qui ouvrent chaque épisode. Celles ci sont souvent dures et dérangeantes (la mort subite d'un nourrisson vu à travers les yeux de l'enfant, la mort accidentelle d'un garçon de six ans ou encore le tabassage d'un jeune homosexuel) mais la beauté de la réalisation et de l'écriture met fréquemment le spectateur dans une position d'accompagnateur du défunt et jamais dans celle du voyeur, comme si l'auteur aimait ses personnages et les guidait vers la mort malgré leurs défauts ou perversions, parfois même avec un humour cinglant justifiant au passage le vieil adage "la vie n'a aucun sens".
Car il aurait semblé dur de faire de l'humour sur des sujets aussi graves mais le cynisme, l'ironie ou les sarcasmes (souvent de la bouche même des morts) sont autant de méthodes pour se débarrasser du boulet des conventions et du conformisme puritain à peine voilé de notre société occidentale. Car Ball le dit, l'exprime et nous y enfonce le regard : baiser langoureux et sexe entre deux hommes, drogue entre jeunes, partouze... Aucun tabous n'est autorisé.
La mort elle même est dénudée par l'intermédiaire de Federico, l'embaumeur qui considère son métier autant comme un boulot normal que comme un art, et le téléspectateur connaitra bientôt toutes les phases du processus (vidages, produits chimiques, reconstruction) sans oublier les coulisses du business de la mort (prix exorbitants, marges faramineuses, grandes compagnies contre petites entreprises).

La qualité extraordinaire de la série, sa philosophie (car c'est une véritable philosophie de vie qui est distillée durant ces cinq années) et sa psychologie hors norme ont poursuivi la voie ouverte par The Sopranos (ou même Oz) chez HBO, toujours à la recherche de fictions justes, intelligentes et choquantes, dont on voit toujours les stigmates aujourd'hui (Breaking Bad, Mad Men ou True Blood du même Ball). Une qualité récompensée (9 Emmys, 3 Golden Globes) qui ne décroitra jamais grâce à son casting exceptionnel (brillamment mené par le trio Krause-Conroy-C. Hall, le futur Dexter) et à une réalisation superbe, dont l'apothéose final sera certainement le moment le plus beau et le plus émouvant qui ait été donné de voir à un téléspectateur.


En résumé : Six Feet Under est bien plus qu'une simple série, c'est une philosophie. En abordant une multitude de thèmes sans aucun tabous (sexe, solitude, violence, spiritualité...) et sans jugement, en ne cessant de faire évoluer ses personnages pour mieux nous interpeller, son auteur, Alan Ball, offre au téléspectateur un moyen d'avancer, de se construire et d'apprendre à appréhender la vie ainsi que la mort, avec peut être un peu plus de sérénité.
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"Why people have to die ?" - "To make life important."
Nathanael Fisher Jr. (Peter Krause)
*S.M.*

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