samedi 10 avril 2010

La Nuit du Chasseur : Il était une fois...

Afin de subvenir aux besoins de sa famille, un certain Ben Harper dévalise une banque et tue deux hommes pour s'échapper. Avant d'être arrêté, il confie à ses enfants l'endroit où il a caché les 10 000$ dérobés.
C'est en prison qu'il rencontre le révérend Harry Powell, un prêcheur fanatique qui découvre l'affaire. A sa libération, il fera tout pour retrouver le butin, quitte à menacer les deux enfants.

Unique film réalisé par l'acteur britannique Charles Laughton, La Nuit du Chasseur est une vraie merveille à la gloire des contes pour enfants. Reprenant le bon vieux manichéisme qui faisait le bonheur de notre jeunesse, Laughton met en scène une sorte de grand méchant loup revisité (terrifiant et hypnotisant Robert Mitchum) à la poursuite de deux pauvres petits orphelins, dans un univers où chaque ombre nous apparait sorti tout droit d'un cauchemar.

Adapté du roman de David Grubb, le scénario prend aux tripes et regorge de rebondissements grâce auxquels les spectateurs se prennent vite d'affection pour les deux enfants, les accompagnant dans leur fuite et craignant l'avancée dangereuse du pasteur. L'interprétation exemplaire y est pour beaucoup, en particulier celle du géant Mitchum, bien sûr, mais aussi la rassurante Lilian Gish, ancienne star du muet, et la désemparée Shelley Winters. Celle des enfants, loin d'être parfaite, donne cependant un cachet supplémentaire au film.

La réalisation abonde de trouvailles, surtout pour un premier film. La qualité des décors et des créations visuelles (à voir la magnifique scène de la fuite en bateau) est un brillant et surprenant hommage, d'autant plus que nous sommes ici à Hollywood en 1955, au cinéma expressionniste allemand des années 1920, magnifié par Fritz Lang (M le Maudit) ou encore Friedrich Murnau (Nosferatu). La réalisation de Laughton, qui peut parfois être d'une sobriété éclatante, fige presque certaines séquences (dans les chambres, par exemple) comme une illustration démoniaque de la fable, aidé par la photographie splendide de Stanley Cortez. Le réalisateur s'essaye aussi à des genres différents tels que le western (la marche du pasteur) ou le film noir, avec une maitrise identique.
Le travail de Walter Schumann sur la musique donne une pesanteur particulière à cette ambiance et même les chansons intégrées, une habitude de l'époque, sonnent terriblement à nos oreilles, à l'instar de cet échange musical et religieux entre la nourrice ayant recueilli les enfants et le prêcheur.

L'une des nombreuses autres qualités du film appartient étonnamment au champ de la satire. Ainsi, le film ne nous montre pas n'importe quel "méchant" mais effectivement un machiavélique homme de foi jouant de son image soit disant immaculée pour épouser une veuve, et ce avec le consentement enthousiaste de toute la communauté de fidèles du village. Ce sont ces mêmes fidèles qui, certes sous l'impulsion du malin, vont devenir de plus en plus fanatiques au point que leurs messes dominicales ressembleront plus a des réunions sectaires qu'à l'église bienheureuse de La Petite Maison dans la Prairie. La critique de la sexualité des prêtres est aussi l'un des moteurs de l'histoire puisqu'elle accompagne indéniablement la montée de violence (refoulement et frustration par peur du "pêché") du pasteur envers sa femme, la résignation de celle ci et sa fuite dans la religion même, laissant champ libre à son mari. Le manichéisme, déjà bien entamée par la mort du père pour sa famille, semble alors remis en question. Peut être est-ce là aussi l'une des raisons du flop commercial du film, le spectateur lambda n'aimant pas trop que l'on touche à sa brave communauté.
Notons enfin tout le travail de Laughton sur la dichotomie sur le fond et la forme avec, entre autres, le monde des enfants et celui des adultes, le bien et le mal, le jour et la nuit, la nature et la ville, le travail en studio et en extérieur, le noir et blanc, renforçant cet esprit dualiste cher aux contes.
En résumé : Signant son unique film, Charles Laughton met en scène dans un univers de cauchemar un Robert Mitchum diablement envoutant, travaillant sur un manichéisme de façade (cachant une critique sévère de la religion et de ses pièges) et un expressionnisme digne du cinéma expressionniste allemand des années 20. Au final, La Nuit du Chasseur est un véritable chef d'oeuvre, hommage aux contes de notre enfance
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"There's too many of them. I can't kill the world."
Reverend Harry Powell (Robert Mitchum)
*S.M.*

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